Le pardon à la meurtrière…
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Le pardon à la meurtrière…
Anaïs avait 22 ans et était enceinte lorsqu’elle a appris l’assassinat de son père par sa maîtresse. Aujourd’hui, 13 ans plus tard, elle raconte le long chemin qu’elle a parcouru avant d’accorder son pardon.
« Quand je lui ai annoncé être enceinte, mon père était ému. Mes parents avaient divorcé quand j’avais 12 ans. Entre la garde partagée et l’entreprise qu’il venait de créer, je le voyais moins qu’avant, mais nous passions de bons moments ensemble. A l’époque de ma grossesse, il travaillait moins et il voyait dans ce futur bébé une occasion de se rattraper. Il était content. Le jour de sa disparition, le 27 février 2012, il m’avait envoyé deux SMS à propos de ma prochaine échographie. Nous avions rendez-vous quatre jours plus tard pour sortir en famille.
Le mardi 28 février, ma sœur me contacte pour me dire qu’elle est sans nouvelles de mon père. Il n’est pas rentré de la nuit et sa femme a contacté la gendarmerie. Je ne m’inquiète pas trop, il doit avoir envie de prendre l’air. Il s’est déjà confié à moi à propos des disputes dans son couple. Mais le lendemain soir, je commence à m’inquiéter. Et le vendredi, quand il ne vient pas à notre rendez-vous, je sais que je ne le reverrai pas. Les gendarme retrouvent sa voiture abandonnée sur le parking près d’un barrage connu comme un lieu de suicide. Je l’envisage, mais je n’y crois pas, car mon père est un battant, il a des projets. Je pense aussi à un accident, à un enlèvement. Pas à un assassinat. Le dimanche, nous apprenons que son corps a été découvert près d’un bois, avec trois balles dans le dos et la tête.
Les premiers jours, je suis dans le déni. Après, je me pose mille questions. J’envisage un lien avec les finances de l’entreprise. Puis mon père ne s’étant jamais caché de ses relations extraconjugales, je pense à un mari jaloux. Quand Bettina, son amie, maîtresse et bras droit se dénonce au commissariat, je tombe de haut. Elle travaille avec mon père depuis mes sept ans. Je l’ai souvent vue au bureau et nous avons même été collègue lorsque j’y ai travaillé durant l’été. Mais je la connais surtout à travers les yeux de mon papa qui la décrit comme une très bonne amie et collègue, quelqu’un en qui il a confiance. Le meurtre ne lui correspond pas, ni par sa personnalité ni par son physique. C’est un petit bout de femme : je ne la vois pas prendre une arme et tirer à bout portant sur mon père. Je m’interroge : « Et si elle se dénonçait à la place de quelqu’un ou qu’elle avait été commandité ? » Je ne comprends pas comment elle a pu arriver à cette extrémité. Mais je dois me rendre à l’évidence : elle a tué mon père.
A partir de ce moment-là, Bettina n’est plus pour moi qu’une meurtrière. Mais le procès est une sorte de bascule. Certains témoignages me touchent. Sa fille décrit la femme, la maman. Son avocat prononce une plaidoirie touchante où il explique son enfance/adolescence compliquée. Après sa condamnation, je ressors du tribunal frustrée, car je n’ai pas les réponses que j’attendais. Il y avait des problèmes financiers au niveau de la société, et elle avait détourné de l’argent, mais cela ne nécessitait pas d’en venir au meurtre ! Et pourtant, dès le vendredi, elle avait décidé de la tuer et plus rien n’avait pu l’en dissuader. Je ne suis pas prête à pardonner, mais quelque chose s’amorce déjà dans ma tête ; je me rends compte qu’un tel drame peut peut-être arriver à n’importe qui. J’ai besoin de comprendre comment Bettina en est arrivé là. Pendant son incarcération, je lui écris une première lettre, à la date anniversaire du décès de mon père. J’exprime ce que je ressens et lui demande des réponses, car à cet instant, c’est tout ce qui m’intéresse. Elle m’explique qu’elle-même ne sais pas. Selon son psy, il s’agirait d’un énorme burnout professionnel et émotionnel. Je reprends contact deux ans plus tard. Je lui demande comment se passe sa peine, comment elle vit son incarcération, ce qu’elle fait pour aller mieux. Une espèce de complicité se met en place. Puis mon compagnon décède et je mets tout de côté. Cette perte est un déclic. Il est mort à 29 ans dans un accident de voiture, nos enfants avaient trois et six ans et demi. Je me sens en colère tout le temps, parce que j’ai perdu mon papa et mon copain. Ces épreuves me submergent. Comme je ne peux rien faire pour mon compagnon, je me replonge dans l’histoire de mon père. Je travaille dessus, seule, et je me demande ce que je peux tenter pour aller mieux, pour être moins en colère. Je pense alors au pardon. Il vient progressivement. Quand je parviens à penser à Bettina et au décès de mon père sans rancoeur ni colère, je sais que j’ai enfin réussi.
Bettina me parle du programme de justice restaurative, dont le but est d’instaurer le dialogue entre une victime et l’auteur d’une infraction pour aider la victime à se reconstruire et l’auteur à se responsabiliser et à se réintégrer dans la société. Elle me demande si je serais d’accord d’y participer. J’accepte. Notre rencontre se prépare avec des animatrices formées. Elles nous expliquent, séparément, que la démarche est volontaire, qu’on peut arrêter à n’importe quel moment et que Bettina n’y gagnera rien par rapport à sa peine. Au cours des entretiens, on revient sur les faits : ce qu’il s’est passé, comment nous l’avons vécu, ma vie avant/après le drame. Puis on prépare la rencontre. Les médiatrices se basent sur une trame précise : ce que je veux lui dire, ce que je veux qu’elle me dise, ce que je veux entendre/ne pas entendre… Enfin, le côté technique : qui arrive en premier ? On amène à boire/à manger ? Est-ce qu’on s’assoit ? Comment on se dit bonjour ?
Le jour J, je suis nerveuse. Elle me laisse parler la première. Notre rencontre est riche et forte en émotions. Mais dire à la meurtrière de son père je te pardonne, les yeux dans les yeux, c’est difficile. Je précise à Bettina « Je te pardonne en tant que personne. » Je veux parvenir à la revoir comme un être humain, mais je ne peux excuser le meurtre. Elle semble très touchée. Elle dit que mon pardon lui rend un peu d’humanité.
Pour ma sœur et mes tantes, cela reste compliqué. Elles sont en colère et n’avancent pas dans la même direction que moi. Pendant dix, je suis restée discrète sur mes contacts avec Bettina auprès de mes proches, mais ils étaient au courant de mes démarches. Même s’ils n’ont pas compris, ils ne m’ont pas jugée. Ma famille a toujours été bienveillante. Et elle a mieux saisi mon parcours après la publication de mon livre sur le sujet. J’ai choisi de raconter mon histoire pour mes enfants, pour qu’ils aient une trace de notre histoire familiale, qu’ils puissent comprendre ce que j’ai vécu. C’est aussi une manière d’honorer la mémoire de mon père. D’une certaine façon, parler de lui revient à la faire vivre. Et puis, je voulais promouvoir la justice restauratrive, et aider d’autres personnes.
Aujourd’hui, je vais bien, je poursuis mon petit bonhomme de chemin et je mène une vie stable. J’ai aussi des projets en lien avec la justice restaurative. Quant à Bettina, elle fera toujours partie de ma vie. Un lien existe entre nous, même s’il est morbide.
Je laisse la porte ouverte, car ça me rassure de savoir que si un jour j’ai besoin de la revoir ou si mes enfants ont des questions, elle sera là.
Ce livre hors norme co-écrit avec la journaliste Nathalie Mazier raconte pour la première fois ce face-à-face entre une victime et une accusée, sans a priori, sans animosité ni reproche. Une rencontre consentie avec la volonté commune de se reconstruire d'un côté comme de l'autre. Un livre de la collection Jacques Dallest.
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