Les conflits des religions
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Les conflits des religions
Sur un plan interne, nombre de crises étatiques, notamment depuis la fin de la Guerre froide, auront vu le fait religieux occuper une place de premier plan. Que l'on songe au conflit de l'ex-Yougoslavie, à celui de l'Irak ou à la terrible guerre civile syrienne, au conflit interne au Myanmar et à la persécution des Rohingyas, ou à la guerre yéménite opposant sunnites et chiites, on est frappé de constater que la croyance religieuse se transforme en un marqueur social qui porte à incandescence des rivalités sociétales profondes et, le plus souvent, anciennes. La religion fait alors figure d'accusé principal. Le religieux est pointé comme un élément premier, causal, du conflit.
Il est vrai que le combat mené par des groupes ou des milices qui mettent le plus souvent en avant Dieu, l'identité religieuse ou la défense de la communauté confessionnelle donnent à penser à une responsabilité directe de la religion. Or, le plus souvent, dans ces conflits, le religieux joue le rôle d'abord de substitut à des identités fragilisées ou à des citoyennetés rendues impossibles. Sans être propre aux conflits des XXe ou XXIe siècles, les conflits dits « identitaires » se sont multipliés dans la phase qui a suivi la chute du mur de Berlin. La disparition de la polarisation idéologique propre à la Guerre froide qui occultait la base locale des conflits, la faible construction de l'État et la centralité des appartenances confessionnelles dans la vie publique font souvent de la religion, en cas de crise, un élément de substitution à une identité politique défaillante. Dans les conflits où le pluralisme religieux est fortement présent, la croyance intervient comme un élément structurant des réalités politiques sociales. Lorsqu'un État s'effondre ou se délite, comme dans les cas irakien, syrien, centrafricain ou hier encore libanais, le fait religieux en tant que fait social agit comme un opérateur symbolique qui fédère l'esprit de groupe. Et c'est dans ce cadre que le référent religieux sert à trois fonctions essentielles.
– D'abord, une fonction d'identité. Lorsque la communauté nationale se délite, les sociétés de pluralisme communautaire sont enclines à se recroqueviller sur elles-mêmes. Elles mettent alors en avant l'idée d'une spécificité du groupe, définie par des attributs ethniques ou culturels parmi lesquels la religion apparaît comme un critère essentiel. Ainsi, lorsque la réalité de la citoyenneté yougoslave a disparu du fait de l'écroulement de l'État fédéral yougoslave, c'est la communauté confessionnelle qui a servi d'identité et de regroupement. « Orthodoxes », « musulmans » ou « catholiques » apparaissent comme des désignations autant que « communautés-nations » renvoie à des « citoyennetés communautaires », si l'on peut dire. La querelle entre sunnites et chiites a pris, entre radicalisation et risques de sécession, des contours similaires à ceux de la crise yougoslave. En Irak, la montée en puissance de la communauté chiite date de la chute de Saddam Hussein et de l'intervention américaine dans le pays de 2003. Depuis, la politique de marginalisation de l'ancienne communauté dirigeante a accentué son opposition. Les transfuges sunnites de l'armée irakienne ont constitué le noyau militaire des éléments de l'« État islamique ». Au Yémen, le conflit opposant les houthistes du Nord, issus de la branche zaydite du chiisme, au gouvernement sunnite du Yémen appuyé par l'Arabie saoudite, menace, s'il n'est pas résolu, d'aboutir à une nouvelle partition entre un Yémen du Nord et un autre du Sud.
– La fonction de mobilisation a trait, quant à elle, à la défense politique des intérêts communautaires et militaires du territoire contrôlé. L'IRA irlandaise, l'UÇK albanaise, force paramilitaire à ses débuts avant de devenir l'Armée de libération du Kosovo, les Forces libanaises chrétiennes ou le Hezbollah chiite, Al-hasd al-chaabi (« la Mobilisation populaire »), milice chiite irakienne, les groupes de la guerre interne centrafricaine, dits Antibalakas à dominante chrétienne et Selekas marqué par l'islam, mêlent, dans des contextes de guerre civile ou de libération nationale, la foi à la mobilisation politique. Le désordre social et la désorganisation économique qu'entraîne l'éclatement de l'État conduit forcément à des modes violents d'administration des personnes et des biens. Les trafics, en vue de financer les groupes armés, qu'accompagnent chantages et violences, prises d'otages voire massacres, sont les moyens usuels d'une administration par la terreur. L'« État islamique » en Irak avait donné à voir la mesure de ces exactions, en frappant monnaie, en gérant les écoles et les mosquées, en organisant l'économie locale mais également en exécutant ses opposants, en persécutant les membres d'autres communautés ou en les massacrant comme pour les Yézidis et les chrétiens.
– La fonction de légitimation de l'entreprise politique communautaire est sans doute symboliquement la plus forte de toutes celles qu'assure l'invocation de la religion dans les querelles politiques. On le voit par exemple en Israël où la construction de colonies sur les territoires de l'Autorité palestinienne trouve, aux yeux de religieux et de colons fondamentalistes, son bien-fondé dans la mention faite dans la Bible de ces lieux comme donnés par Dieu au peuple juif. La justification des entreprises guerrières par la défense de la foi, ou la survie d'une communauté menacée par des dangers, réels ou fantasmés, conduit à donner un sens ultime aux sacrifices et aux efforts demandés. Menés sous la bannière de la religion, les conflits finissent par devenir des querelles sacrées. L'implication des acteurs religieux dans les luttes les justifie aux yeux de militants-croyants. Il en va ainsi lorsque, comme au Sri Lanka, des moines bouddhistes cinghalais militant au sein du parti nationaliste Jathika Hela Urumaya s'engagent résolument contre la lutte des séparatistes des Tigres tamouls de confession hindoue. Plus récemment encore, en Birmanie, la collusion du nationalisme et de la religion a fait du moine bouddhiste Ashin Wirathu le chantre de l'expulsion des Rohingyas du pays.
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